• Gert-Peter Bruch : "Ce n'est pas seulement une honte, c'est un crime contre l'humanité"

     A l’approche de la journée mondiale des droits de l’Homme, la mobilisation est à son comble chez les membres de Planète Amazone et autres opposants au barrage de Belo Monte au Brésil. Ce dernier financé à hauteur de 17 milliards de dollars doit permettre d’approvisionner 23 millions d’habitants en électricité d’ici 2014-2015. Mais aussi de contraindre 20 000 à 40 000 indigènes et ribeirinhos (peuples riverains des fleuves amazoniens) de quitter leurs terres. Le 10 décembre un appel aux rassemblements est prévu à Paris devant le siège d’Alstom et l’ambassade du Brésil. De retour du Brésil depuis 2 mois, entretien avec Gert-Peter Bruch, président de Planète Amazone sur les raisons de son indignation, l’impact de la construction du barrage de Belo Monte pour les populations autochtones, les mesures d’expulsions du gouvernement brésilien, l’exploitation minière à venir d’une société canadienne…

     

     Bonjour Gert-Peter Bruch, alors… pourriez-vous nous dire quels sont les objectifs de cette journée d’action internationale, à l’approche de la Coupe du Monde de football 2014 ?

    Gert-Peter Bruch : Les objectifs de cette journée, c’est de rappeler au monde entier que c’est bien beau de faire des affaires au Brésil. C’est bien beau de fermer les yeux quand on ne se sent pas concerné. Cette journée du 10 décembre ce n’est pas un hasard : c'est la journée internationale des droits de l'Homme. Le barrage de Belo Monte est la représentation d’autres grands projets de barrages. On parle de près d’une soixantaine de barrages en 10 ans. Ce sont des structures nocives à l'environnement. Il n'y a qu'à prendre exemple sur le barrage des « Trois gorges » en Chine qui avec ses 32 turbines fait déjà des dégâts considérables. Et d’ailleurs le dernier séisme en Chine pourrait, selon des scientifiques, être lié à la construction de ce barrage.

    Peut-on rappeler quelle est la situation actuelle au Brésil ?

     G-P B. : À Belo Monte, qui est un barrage en construction depuis 2 ans, des espèces sont déjà en voie de disparition. Les pêcheurs là-bas, quand on les a rencontré, nous disent qu’il y a une baisse de la production journalière de 80%, alors que le barrage n’est pas encore en activité. Ce n’est pas seulement une honte, c’est un crime contre l’humanité ! Il y a beaucoup d’entreprises françaises qui participent au barrage. Alstom va fournir les turbines  de Belo Monte (à hauteur de 500 millions d’euros), GDF-SUEZ a fait les études de faisabilité. C’est une étape importante de la construction du barrage. C'est à partir de ces études que sont réalisés les programmes sociaux qui déterminent qui va avoir droit aux indemnités. Les pêcheurs, que je suis allé visiter, eux, ne seront pas indemnisés. Et tout ceux qu’il y a autour, non plus. Maintenant il y a aussi EDF qui souhaite entrer sur le marché des grands barrages en Amazonie. EDF c’est 84% de la part de l’Etat, donc des impôts de tout le monde. EDF qui a déjà construit un barrage en Guyane française, celui de Petit Saut… La France n’a pas signée la Convention 169 de l’OIT. Elle ne reconnaît pas les peuples autochtones. Malgré toute la mauvaise publicité qu’il y a autour des barrages, ils veulent s’impliquer dans de nouveaux projets. Au mois de décembre EDF va participer aux appels d'offres des barrages sur les fleuves Teles Pires et Tapajós (à l’Ouest du Rio Xinju). 

    Et concernant les peuples autochtones du fleuve Xingu ?

     G-P B. : Dans les zones proches du barrage de Belo Monte, les gens qui habitaient aux abords de ce fleuve n’ont plus accès à l’eau potable et ne peuvent plus pêcher. Ces gens là ont été expulsés. Ils sont à Altamira (au Nord Ouest du Brésil) comme des clochards. Ce sont des vies qui sont brisées. Ils vivent de petits boulots. Là on parle des peuples indigènes. Des milliers de personnes. Mais le pire c’est pour ceux qui ne sont pas indigènes. Ils ne sont pas reconnus par la FUNAI  (Fondation Nationale de l’Indien) et donc ils ne reçoivent aucune aide, à part celle du mouvement d'Antonia Melo, Xingu Vivo Para Sempre, dont les bénévoles sont complètement débordés.

    Quels étaient les accords passés avec les habitants au départ ?

    G-P B. : Il y a des familles qui ont été contactées. On leur a promis des maisons, les maisons sont arrivées au bout d’un an et demi. Ces maisons en béton sont de véritables fours. Pas du tout adaptées à cette région tropicale, vous imaginez bien. C’est simple, tout ce qui avait été promis avant le barrage n’a pas été respecté par le consortium Norte Energia. Au Brésil, la situation est grave. Il y a un indigène qui a été assassiné par la police militaire. Ils ont faits une opération commando chez les Munduruku. Mais il y a aussi les fermiers locaux, propriétaires des terres au Brésil et qui détiennent les exploitations de soja, qui cherchent à liquider les indiens.  

     Quelles sont les conséquences de la construction du barrage de Belo Monte sur le mode de vie, la culture et l’avenir des populations autochtones ?

     G-P B. : Les conséquences directes du barrage ce sont les impacts sur la biodiversité. La raréfaction des poissons qu’ils pêchent influe sur leur alimentation. Comment vont-ils faire ? Acheter des boîtes de conserve ? (ironise le président de Planète Amazone). Ce n’est pas leur mode de vie. Si on leur vole l’accès à la forêt, à l’eau, on les tue. Outre cet impact là, il y a l’impact extrêmement violent sur le fonctionnement des indigènes. Pour détruire le tissu social des indigènes, les constructeurs leur font des cadeaux, leur font signer des papiers. En dehors de ça, le barrage va entraîner dans son sillage des exploitations minières, des coupes de bois illégales vont être pratiquées, du soja, de la destruction par brûlis. Un barrage avec rien autour ça n’existe pas !

    Et en ce qui concerne les conséquences environnementales ? 

     G-P B. : L’impact des grands barrages sur le climat est démontré par de nombreux scientifiques. Aucun scientifique ne peut démontrer que ces barrages sont bénéfiques pour l’environnement. 

    Quels sont les intérêts du gouvernement de Dilma Roussef dans la construction de ce barrage ? 

    G-P B. : Les imbrications avec l’industrie minière. Faire plaisir à tous les propriétaires. Ces grands barrages sont comme le cheval de Troie. Economiquement, le barrage n’est pas viable à cause des crues et des décrues. Une bonne partie du temps, 3 à 5 mois sur 12, il perdra près de 90% de son efficacité. Le pire, c’est que la France est en première ligne d’implication dans ce barrage. On commence à être les plus impliqués de tous. Après il y a l’Autriche, l’Allemagne et les Pays Bas.

    C’est ce dont on parlait toute à l’heure, le nouveau projet de la compagnie « Belo Sun » pour l’exploitation d’une mine d’or au Brésil ? 

    G-P B. : Je vous invite à vous renseigner sur Belo Sun Mining. Cette entreprise canadienne souhaite développer la plus grande mine d'or qu'ai connu le Brésil juste à l'endroit où le fleuve Xingu sera asséché. Les premiers peuples indigènes impactés seront à quelques kilomètres à peine. Je sais que cette compagnie est très puissance, mais nous oeuvrons, avec d'autre ONGs, pour faire en sorte qu'elle ne puisse pas réaliser son projet. 

    Spot de sensibilisation contre la compagnie Belo Sun : 

    Dernièrement, le gouvernement brésilien a fait expulser une communauté indigène de lancien musée de l'indien...

    G-P B. : Les violations qui ont lieu autour de la Coupe du Monde de Football au niveau des minorités, c’est exactement ce que vivent les populations indigènes près du barrage de Belo Monte. L’ancien musée de l’Indien est une sorte de squat. C’est un endroit très important pour les indiens. Je ne sais pas qui a décidé que ce lieu là devait devenir un parking aux abords du stade, mais ils ont violemment expulsés les Indiens qui y vivaient et ont parlé de le raser. Maintenant, ils veulent en faire un musée olympique après la Coupe du Monde ! Les indiens sont révoltés. Ils se sentent une fois de plus dépossédés du peu qu'il leur reste encore. On sait pertinemment que ce grand projet de développement énergétique du Brésil n’est pas étranger aux Jeux Olympiques 2016. Rappelez vous pour la Chine, les J.O ont été un tremplin économique incroyable. On nous accuse de faire l’amalgame, mais c’est vrai !

    L’attitude du gouvernement de Dilma Roussef envers les journalistes étrangers qui veulent couvrir l’avancée du barrage ? 

     G-P B. : Il y a des journalistes qui ont été arrêtés. Ils ont pris des mesures drastiques pour que les gens ne puissent plus protester contre le barrage. Il y a actuellement une milice militarisée aux abords du barrage. On est dans une démocratie ou une dictature ?

    Quel regard porte la communauté internationale sur l’écocide au Brésil ?

    G-P B. : La communauté est pour l’instant très timide. Parce ce qu’il y a des intérêts économiques. Et aujourd’hui les intérêts économiques priment. Nous notre rôle c’est d’interpeller les politiques. Mais jusqu’ici personne… ils sont très agressifs au Brésil. Ils n’acceptent absolument aucune critique.

     Pour conclure, quel est le message du Cacique Raoni après 23 ans de lutte ?

    G-P B. : Il n’a pas changé, c’est toujours le même. Il participe à un grand appel que nous avons lancé, de manifester devant les ambassades. Il n’est pas éternel mais il ne baissera jamais les bras. Jamais.

     Merci Gert-Peter Bruch.

    G-P B. : Merci à vous. 

    Propos recueillis par Elodie Terlon.

     

    Plus d’infos sur « Planète Amazone »

     http://raoni.com/actualites.php 

    Pétition en ligne contre le barrage de Belo Monte :

     http://raoni.com/signature-petition-contre-belo-monte.php 

    Lettre ouverte contre « Belo Sun » :

    http://www.gitpa.org/Qui sommes nous GITPA 100/ACTUlettreBresilBeloSun.htm  

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